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JAUNE a amorcé sa découpe sur des pochoirs d’éboueurs et d’autres nettoyeurs publics. Au fil des années, la fluorescence réfléchie de ses travailleurs de rue s’est amplifiée pour éclairer une ample et toujours croissante démographie de figurines emblématiques de la vie urbaine (et d’ailleurs). Simultanément, un décollement progressif de support, une lente migration de peinture ont donné prégnance à des décors que l’artiste-architecte bâtit à son échelle. Personnages et décors se mélangent aujourd’hui dans une œuvre pochoiresque doublement situationniste, comme si la vraie rue pouvait être si facilement mise en scène – et mise en boîte – par le jeu d’un simple transfert ludique et légèrement moqueur. Une habitation d’un monde cartoonesque certes encore fort statique mais qui pourrait bientôt s’animer … On parle de tout ça avec JAUNE :

PLIPP : Peux-tu nous faire le topo de la scène graffiti actuelle ?

JAUNE : Si on parle vraiment du graffiti, et pas du street art en général, j’avoue que je ne le suis pas des masses parce que ce n’est pas vraiment ma mouvance. Je n’y ai jamais pris part, en fait. Je n’ai pas une culture extrêmement poussée du graffiti bruxellois mais, vu la fréquence de certains grafs, je dirais que c’est une scène plutôt locale même s’il y a bien des outsiders de talent qui viennent pratiquer à Bruxelles. Pour moi, le graffiti est vraiment le lettrage, le tag. C’est quelque chose d’incontrôlable par définition parce que c’est un des facteurs qui constituent l’essence de cet art. Sur le street art plus généralement, je trouve qu’on voit des choses intéressantes qui sortent … Moi, je me balade tout le temps dans Bruxelles et je suis très attentif à ce qui se passe dans la rue parce que j’utilise des représentations de façades bruxelloises dans mon travail. Je suis toujours en train de scruter les petits détails, les petites choses qui caractérisent la ville et je découvre chaque fois de nouvelles petites interventions. Je n’ai pas tellement une vision évolutive de la chose dans le sens où je ne pourrais pas dire si c’était mieux avant ou si c’est mieux maintenant. Je suis plus dans la découverte d’un foisonnement que dans la comparaison par rapport à une autre époque. Il y a des choses qui, vu de l’extérieur des mouvements, restent du vandalisme ou qui sont mal placées mais il y a aussi des interventions très intelligentes. J’essaie toujours de me laisser surprendre …

PLIPP : Comment positionnes-tu le pochoir dans cette scène ?

JAUNE : Pour moi, le pochoir est une conséquence du graffiti. C’est comme une arborescence qui part du graffiti mais qui prend ensuite des formes très variées. Le pochoir est une de ces branches comme le sont les stickers et les collages, ou encore comme ceux qui font du tricot pour le mettre sur le mobilier urbain. Il y a des gens qui détruisent les murs et d’autres qui les nettoient … C’est tellement varié que, maintenant, il faut bien dire qu’il y a vraiment de tout !

PLIPP : Qu’est ce qui t’a amené au pochoirisme ?

JAUNE : Mon premier déclencheur, c’est que j’habitais avec deux graffeurs quand j’étais étudiant. Ils sortaient la nuit pour faire du tag, pour taper de petites pièces dans les rues … C’est comme ça que j’ai découvert le mouvement. Ca m’a intrigué par l’implication que le fait d’écrire sur les murs donnait aux artistes ! Mais je n’avais pas envie d’en faire partie parce que, visuellement, c’était quelque chose qui ne me correspondait pas. Mon second déclencheur, c’est BANKSY. Je n’avais pas spécialement de culture de l’art urbain à l’époque et c’est via BANKSY, probablement parce que plus médiatisé, que j’ai découvert la technique du pochoir. La construction visuelle d’un pochoir correspondait beaucoup plus à un style de dessin, un type d’image, avec un côté entre ombre et lumière, qui m’a accroché. Le jeu clair – obscur est quelque chose qui pour moi fait partie du pochoir. Je me suis directement lancé là-dedans. J’avais besoin d’une technique qui me permettait d’arriver directement à un résultat abouti, sans passer par des choses vaseuses. Mon but est de devenir un pochoiriste professionnel, ce que j’espère être déjà. Je ne parle pas d’être un artiste accompli mais du fait d’en vivre et de passer la plus grande partie de son temps de travail à pratiquer son art. Dans ce sens-là, je me sens certainement plus professionnel qu’amateur. J’ai fait le choix de faire du pochoir un vrai système. J’ai ma classification et mon langage. J’ai mes couleurs et mes éléments … Et je joue avec tout ça. C’est de la mécanique pour moi, limite un système mathématique. Le pochoir, c’est énormément de travail en amont avant de pouvoir se lancer. J’ai pas mal d’heures de vol de découpe, maintenant. J’estime avoir plus d’une centaine de personnages différents. J’ai de la voiture, de la moto, j’ai du curling et du golf, j’ai des trompettistes …J’aime bien comparer mon boulot à un jeu de langage. Quand on parle, on utilise les mêmes mots mais dans un ordre chaque fois différent et ça change leur sens. Moi, mes pochoirs sont comme ces mots et j’ai mon dictionnaire. Il y a aussi des contraintes dans le pochoir. Notamment par rapport au lieu. Il y a aussi le matos à transporter. Il faut étaler les couches, les faire sécher … Je ne peux pas faire de perspective. Je ne vais pas dire que c’est un frein à la créativité mais c’en est peut-être un à l’impulsion du moment.

PLIPP : Comment progresse ton travail, avec tes personnages et tes décors ?

JAUNE : Le concept de diorama m’est arrivé très tôt, en fait. Dès la première exposition à laquelle j’ai pu participer. L’idée est sortie ici un jour, en discutant avec les autres de l’atelier, et je l’ai attrapée au vol … De fil en aiguille, j’ai essayé de multiplier les personnages, de faire des décors. Tout ça fait référence à des choses comme des théâtres de guignol, des pop-up books, des petites boîtes où on appuie sur un bouton pour faire avancer un petit chariot … Il y a un peu ce côté jouet ! Mes personnages font trente centimètres et, du coup, on a envie de les prendre en main. Une fois qu’on se rend compte de ça, on commence à vouloir jouer avec, forcément. C’est vers ça que je me dirige. Je construis mon décor et puis je tape plein de personnages dedans et le résultat est une scène de rue … C’est agréable à l’oeil mais quand les gens commencent à vraiment regarder, ils se rendent compte qu’il y a deux personnages qui sont en train de boire une bière, qu’il y en a un qui est en train de shoter un autre … Il y a toujours des petites histoires, un peu comme une bande dessinée sauf qu’il n’y a pas de cases. J’ai lu beaucoup de bandes dessinées quand j’étais petit et du coup, voilà, le pochoir est un créneau. Je peux donner plein de petits trucs à regarder mais on peut juste aussi bien passer devant. Je pense aussi aux cartes d’anniversaire qu’on ouvre et qui font de la musique avec un petit truc qui bouge. Il y a un moment où j’aurais aussi envie qu’on appuie sur un bouton et que ça fasse de la musique. J’ai envie d’intégrer de l’électricité dans mes pièces et avoir sur le côté une télécommande … On appuie sur un bouton et une porte de garage s’ouvre, on appuie sur un autre bouton et il y a un truc qui passe, des choses qui volent, un rideau qui bouge … J’ai envie d’en faire un petit jouet.

PLIPP : L’animation est ta prochaine étape ?

JAUNE : J’ai un peu cherché avant de faire ce métier. J’ai fait un peu d’animation donc je sais que le montage, la vidéo, le graphisme, c’est quelque chose qui est assez grisant. Mais je me rend compte aussi que si je veux être performant dans un domaine, il faut que je me concentre uniquement sur celui-là et éviter de m’éparpiller partout. J’aurais l’impression de me perdre si je commençais à essayer de développer d’autres choses. J’ai le mérite d’avoir essayé un peu de tout avant le pochoir et donc je sais ce que cela représente vraiment de monter un film … Je sais ce que représente le tournage d’un film d’animation et je sais aussi pourquoi ce sont des techniques que je n’utilise pas !

PLIPP : Comment évolue ta technique au pochoir ?

JAUNE : Je suis passé récemment au laser cutting parce que je commence à m’essouffler au niveau de la découpe à la main. Ca ne va pas assez vite par rapport au fait que j’ai énormément d’idées et qu’il y en a plein que j’oublie avant même de pouvoir commencer à les développer… J’ai mis les premières bases de tout mon travail à la main. Je me suis muni de cinq portes, cinq fenêtres, une petite batterie de boîtiers électriques et de poubelles … Soit le strict minimum pour arriver à faire mes premiers décors. Je me rends compte maintenant, et au niveau des personnages aussi, que je tourne tout le temps avec les mêmes éléments et que le renouvellement n’est pas suffisant pour que je puisse continuer à m’éclater. J’imagine qu’il y a un moment où le public aussi va moins s’éclater s’il voit tout le temps les mêmes scènes. J’aimerais faire trois cent nouveaux personnages d’un coup, avec des toits pour les maisons et plus d’éléments pour continuer à jouer. Si je peux le faire au laser cutting, ça va aller beaucoup plus vite. Je ne dirais pas que j’ai fait le tour de la découpe à la main parce qu’il y a toujours des trucs à apprendre, mais ça commence vraiment à me saouler et, du coup, j’espère que le fait de rentrer dans une autre vitesse va me permettre de développer ce qui m’intéresse de plus en plus, c’est à dire le sujet !

PLIPP : Nous avons retrouvé dans nos archives un pochoir de toi qui date de 2009 …

JAUNE : Ah oui ! C’est le premier vrai boulot que j’ai fait en rue. C’est quasiment le seul que j’ai fait directement au pochoir en rue. C’était rue de la VANNE ! Après ce boulot, j’ai arrêté pendant trois ans tellement ça m’avait dégouté … J’y ai passé toute la nuit pour trois personnages … Si je me souviens bien, il y avait seulement trois couches. Je les avais découpées dans des cartons de boîtes de pizza. Maintenant j’utilise des cellos transparents avec un système de repérage mais là, ce n’était pas transparent du tout … Je ne m’en suis rendu compte qu’en le faisant sur le mur … Je ne voyais rien au travers des cartons … J’avais essayé en pleine journée chez moi et ça avait plutôt bien fonctionné mais, là, de nuit, c’était directement autre chose ! En plus, c’était en février ou mars et je me souviens qu’il faisait extrêmement froid et extrêmement humide … La peinture ne séchait pas et, du coup, j’ai dû attendre une plombe entre chaque couche ! Et comme je n’avais jamais manipulé une bombe, je mettais bien évidemment une couche monstrueuse de peinture à chaque passage … Plus la peur de me faire chopper vu que je connaissais les risques de par mes colocs graffeurs … J’avais posé mes affaires à cinquante mètres de l’autre côté de la rue et donc je perdais du temps à aller chercher mon matos … Il y avait aussi le fait que, moi qui ne connaissait pas bien le graffiti à l’époque, je m’étais attaqué à un gros nom … C’était COLOR ! Mon but était juste de me mettre du côté du passant lambda ou du propriétaire d’un mur qui n’arrive pas à adhérer à la chose ou qui n’arrive simplement pas à comprendre le mouvement. Ce n’était pas une attaque sur COLOR. C’était limite pour le mettre en valeur avec mes petits gars accrochés autour de son graff en respectant les contours. Ca découlait du même boulot, finalement, avec le pochoir qui parle du graffiti sur le graffiti ! Après ça, j’ai commencé à comprendre les choses et à développer le sujet … L’art qui parle de l’art … Bref, ce premier pochoir, ça a été une sacrée aventure !

PLIPP : Pour finir, quel est ton message au monde ?

JAUNE : J’aime la thune ! Non, plus sérieusement, ça dépend de quel pied on est parti le matin. Soit c’est arrêter de déconner parce qu’on fonce droit dans le mur, et pas qu’au niveau écologique. C’est un message d’espoir. Soit c’est juste brûler cette planète ! Tout brûler direct !

PLIPP : Même tes pochoirs ?

JAUNE : Même mes pochoirs.

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